deuil

La posture personnelle à adopter pour surmonter un deuil.

Vivre un deuil et se faire aider pour le traverser demande l’humilité de confier à l’autre sa souffrance intime et de lui faire confiance. Il y a longtemps que j’ai envie de partager mon expérience de thérapeute sur le processus de deuil. L’exercice me semble difficile car je ne voudrais en aucun cas blesser des ceux d’entre vous qui ont perdu des personnes qui leur étaient chères et vivent cette perte dans la douleur. J’ai souvent eu le sentiment que ce que j’avais à dire sur le deuil allait à l’encontre de ce que l’on a coutume d’entendre, et c’est en cela que partager aujourd’hui mon expérience de l’accompagnement du deuil chez des personnes peut déranger ceux qui en ont une autre expérience.

Le deuil est une souffrance de l’intime. Se mêlent à travers lui la relation à l’autre, la relation à la vie, la spiritualité, la foi. Il est donc difficile d’en parler dans une généralisation.

Nombreuses sont les personnes qui ont perdu un être cher et peuvent dire « il est encore plus présent » « je lui parle tout le temps » « il est là »… Décrivant ainsi le dialogue intérieur qu’elles ont avec la personne défunte. C’est ici qu’avec délicatesse j’ai envie de vous proposer une autre façon d’envisager cet après. J’ai réalisé avec le travail corporel que je propose à mes patients à quel point nous étions énergie. L’énergie de nos vies qui traduisent nos êtres. La personne défunte a été énergie et est encore énergie. Lui parler la solliciter, revient à garder un peu ou beaucoup de son énergie en nous, ou à proximité.

Garder cette énergie en nous reflète une erreur d’identification entre le souvenir, l’amour et la présence.

Une personne en vie, ne peut impunément garder cette énergie en elle. Impunément, c’est à dire sans effet délétère sur elle. Garder en soi l’intimité de cette énergie, traduite par ce dialogue qui permet de percevoir intuitivement des réponses, l’idée que c’est bien lui qui répond, entraine un frein à sa propre vitalité.

Nous ne pouvons pas vivre pour deux, trois ou quatre, sans attenter à notre autonomie vitale. Et la question se pose alors de la légitimité de la situation.

Vivre en proximité avec une personne défunte, entraine une moins grande disponibilité aux personnes vivantes autour de soi.

Finalement il est question ici d’accepter de laisser l’autre partir.

La confusion est celle-ci « si j’accepte qu’il parte, alors j’accepte qu’il soit mort, si j’accepte qu’il soit mort alors je ne l’aime plus ou pas ou pas assez. »

Mon intuition est que l’ultime amour est d’accepter que l’autre ait fini sa vie. Et d’accepter qu’il s’éloigne.

J’ai lu il y a très longtemps un livre qui m’a beaucoup marquée, et dont le sens m’est apparu peu à peu. Une maman y raconte la fin de vie de son fils, atteint suite à une transfusion sanguine, du SIDA, à un moment où le lien entre l’un et l’autre n’était pas encore très connu. Ce livre s’intitule « Va vers la lumière mon fils » (Chris Oyler). Ce qui m’avait marqué dans cette fin c’est le moment où la maman autorise son fils à partir. Lui assurant sa propre force pour survivre à ce drame, à cette injustice du destin. Je crois que tout est dit dans cette phrase sur le laisser partir.

J’ai souvent travaillé avec des personnes qui avaient perdu des proches, et apparaissait en évidence au cours de ce travail qu’il fallait pour qu’ils aillent mieux qu’ils acceptent de laisser partir ces proches. Et que ces proches acceptent de partir.

Je sais que cela est difficile à percevoir, cependant c’est essentiel pour trouver plus d’unité en soi et que cela soit plus juste pour soi.

Les situations auxquelles je fais référence sont variées : deuil de conjoint, mais aussi deuil de petit enfant, deuil de grands-parents, deuil de jumeau en prénatal, deuil de fœtus. J’ai été la première surprise de découvrir cette dimension si particulière de la présence restante, qui empêchait à la personne d’investir sa propre vie ; et ce n’est que peu à peu que j’en ai pris la mesure. Dans mon travail, j’invite alors les personnes qui y sont prêtes à visualiser le départ de cet autre vers la lumière. Ou vers l’au-delà, ou vers le lieu de ceux qui sont décédés. Chacun appelant ce lieu en référence à sa spiritualité, sa religion ou sa non-religion, à sa manière.

Le moyen pour y arriver est d’accepter de vivre avec le souvenir glorieux de l’autre, amoureux, mais sans sa présence.

Une femme à qui je proposais ce chemin, a eu l’expérience suivante. Elle avait perdu son papa très jeune. Elle avait aussi perdu un bébé 15 ans auparavant. J’essaie ici de partager son expérience de façon authentique sans la bafouer par manque de rigueur, je ne peux partager que ce que j’ai compris de ce qu’elle vivait. Je l’ai donc invitée à envoyer vers la lumière, ou dans le lieu le plus représentatif pour elle, son papa et sa petite fille. Une séance suivante elle a pu me dire. « Concernant papa c’est comme si en faisant cette visualisation, je le ramenai à son humanité, son état d’homme, et non plus de héros figé ».

A propos de sa petite fille elle a pu me partager plusieurs séances après qu’elle n’avait pas pu imaginer cet envol. Mais que aujourd’hui elle en était capable, elle comprenait de façon entière et sans arrière pensée, sans juste le désir de me « faire plaisir » (désir sans intérêt en thérapie, même s’il est parfois présent), la signification, la réalité, l’incorporation de laisser partir la présence énergie en la différenciant de l’amour, le souvenir, l’émotion.

En ce qui concerne le deuil de son papa en laissant partir celui-ci elle s’est remise émotionnellement en mouvement. Non pas qu’elle ne vivait pas d’émotion, mais quelque chose de son fonctionnement était figé, tenu en laisse par le mélange de peine de culpabilité de douleur, tenu en laisse par le rôle qui lui était alors incombé petite fille priée de prendre soin de sa mère veuve, en faisant taire sa propre peine.

En ce qui concerne sa petite fille je crois qu’elle a ainsi libéré une place de disponibilité pour ses enfants vivants, dont un bébé qui allait bientôt naître.

« Faire le deuil » j’ai toujours été heurtée par cette expression, « j’ai fait mon deuil » « je ne peux pas faire mon deuil »… Il y a des raccourcis dans cette phrase reprise en boucle dans les médias qui nie la douleur viscérale. Car l’énergie de l’autre est bien cachée dans les viscères, surtout lorsqu’il s’agit d’un père, d’une mère ou d’un enfant. Il n’est pas question ici de « faire » il est question  de « vivre » un deuil. De le traverser dans une réalité autant psychique que corporel. Il est question d’aller à l’encontre de l’angoisse humaine de disparition.

Il y a un autre versant au deuil qui est encore moins connu. Le deuil de sa vie pour celui qui est décédé. La forme visible de l’iceberg, ceux sont les testaments qui indiquent non pas seulement ce qui est donné à qui, mais ce que le destinataire du bien doit en faire.  Des personnes sont ainsi en souffrance de ces legs matériels ou immatériels qui leurs sont faits, et dont il est difficile de se libérer. Car là aussi il y a confusion entre « aimer l’autre » et « être soi ». Comme si on ne pouvait montrer son amour à l’autre qu’en étant annihilé à ses paroles et ses désirs. Dans ces situations les personnes en souffrances sont envahies par une culpabilité collante. Leur raison leur dit « que rien ne les oblige à vivre comme un tel le souhaitait, étant donné qu’il n’est plus là ». Mais à leur « raison défendante », ils ne peuvent faire autrement. Mon hypothèse est alors que le réseau d’énergie de la personne décédée est encore extrêmement puissant autour d’eux ou en eux. On ne peut combattre ce réseau qu’en invitant notre corps à laisser émerger la forme que cette énergie prend et à travailler symboliquement dessus. Mettre des mots, créera du sens permettra une certaine prise de distance mais ne sera pas toujours suffisant.

Le but n’est pas tant de faire le contraire de ce qui leur a été indiqué, mais de faire les choses en liberté par soi et pour soi.

Ce réseau puissant entraine parfois aussi la personne survivante à adopter, bien malgré elle,  les comportements de la personne décédée : langage, accès de colère, tendance à boire… Je pense que pour sortir de cette spirale se faire aider par un tiers est nécessaire.

La fidélité à la personne décédée ne devrait pas avoir d’impact aussi fort sur ceux qui sont encore là. Je pense notamment que lorsqu’un parent perd un de ses parents, cela ne devrait pas avoir d’impact sur ses enfants. Pourtant c’est parfois le cas. Finalement un deuil non abouti, crée une tension un regret, qui peut être perçu comme une valorisation du « statut de mort » pour des personnes plus jeunes, ou en construction. C’est une hypothèse mais il m’est arrivé deux fois en suivant des adolescents en difficultés, de ressentir ce lien indicible entre leur tendance dépressive, et le deuil non accepté dans la famille de la mort brutale d’un de leur grand parent. Dans ces deux situations le traumatisme de cette brutalité était tel qu’il planait encore plusieurs années après dans l’émotion familiale.  Est-ce qu’en allant plus loin nous aurions pu dire que cela créait chez elles une fascination, le fantasme d’être davantage aimé lorsqu’on était parti ? Ou bien une sorte d’indifférenciation émotionnelle entre la mort et la vie ? C’est une réflexion que je vous partage car ci elle est fondée je pense qu’il est important d’en prendre conscience lorsque l’on est parent. Et de réaliser aussi en quoi il est important de se donner les moyens de traverser un deuil le plus sereinement possible, par amour aussi pour les vivants. C’est aussi en réaction à cela que je pense que garder la présence du disparu « trop » présente en plaçant des photos partout par exemple, peut-être un frein pour se réinscrire dans le mouvement de la vie.

Si je peux me permettre de simplifier mon propos, je le répète, toujours dans le respect de la personne endeuillée. Osez, osons, symboliser intérieurement le départ de la personne décédée dans un lieu qui nous est inaccessible. Ca n’est pas un manque d’amour, c’est une inscription dans la vie et dans l’avenir.

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