L’article que je vous propose est issu de l’accompagnement de deux enfants Antoine et Claire* atteints respectivement de Troubles Obsessionnels Compulsifs et de phobies. J’ai expérimenté dans ces deux situations combien la parole, la volonté et l’investissement personnel ont le pouvoir de nous sortir de situations qui par d’autres aspects nous dépassent.

Antoine avait 8 ans quand j’ai commencé à le recevoir. Sa maman est une amie qui évoquait à l’époque fréquemment, une situation inquiétante pour elle avec cet enfant dont les difficultés envahissantes la dépassaient. Jeune thérapeute à l’époque j’écoutais sans intervenir pour respecter le fait que c’était une amie. Jusqu’au jour où elle me dit « la psy d’Antoine ne voit pas le problème, depuis 3 mois rien ne se passe, elle me dit qu’il va bien». J’ai alors spontanément proposé de recevoir Antoine, considérant inadmissible qu’une professionnelle ne sachant pas aider un enfant préfère nier la difficulté de l’enfant.

Accompagner un enfant perdu dans ses TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs), c’est à dire ses angoisses, est un travail de longue haleine. Dans la situation que j’évoque il faut aussi rendre hommage à l’investissement de ce jeune garçon qui a supporté ce laborieux travail qui s’est étendu sur 5 ans, avec des interruptions et des rythmes variables.

Ce qu’il faut comprendre, au sens de prendre en compte dans ces situations : Le TOC est un mécanisme de défense devant une situation anxiogène imaginaire mais qui s’impose à l’esprit. C’est une tentative de se prémunir d’un danger que l’on croit réel. Il est inutile de poser des pensées comme quoi « ce soir je ne me relaverai pas les mains ». Il faut comprendre et agir sur la source intrinsèque de stress. Ce n’est pas tant l’extérieur qu’il faut modifier mais le foisonnement de déductions faites à partir d’une croyance imaginaire.

Il y a donc une dissociation à mettre en œuvre entre pensée et action. Il faut comprendre que la pensée entraîne le passage à l’acte pour le patient : « Si je passe à côté de ces bandes dessinées, je risque d’être aspiré par les livres ». C’est une pensée excessive, semi-délirante. Délirante car un livre n’aspire pas une personne mais « semi » délirante car la peur d’être aspiré est bien réelle. « Pour éviter d’être aspiré par les livres, je vais les ranger avec précaution, et surtout je vais éviter de passer devant la bibliothèque qui les contient ». La pensée entraîne donc l’action, mais une action inadaptée au vu de la réalité. Il est totalement inutile d’essayer convaincre par la raison l’enfant qu’il peut passer devant les livres sans danger.

L’approche thérapeutique dans ce cas, est de passer par un travail psycho-corporel. Après une introduction en relaxation, je demande au patient où se situe en lui cette peur d’être aspiré par les livres par exemple. Ensemble nous allons explorer cette peur, ce qui la sous-tend, ce qui est nécessaire pour s’en débarrasser… Puis mettre par exemple symboliquement cette peur dans une boîte posée à côté de soi. En agissant de cette façon le patient perçoit un répit, une façon de s’en sortir, une façon aussi de composer avec cette peur en passant par un chemin différent du TOC. Mettre dans une boite, déposer à côté de soi la peur, sont des techniques beaucoup plus constructives que la répétition de gestes d’évitement.

L’étape suivant dans l’accompagnement de ces troubles est l’acquisition de techniques pour bloquer la pensée délétère. Il est nécessaire pour cela que la personne ait conscience que sa pensée angoissante ne se base pas sur des faits réels. Ce qui est impossible lorsqu’elle est prise dans le processus d’angoisse, l’est lorsqu’elle est en période d’accalmie. J’ai donc beaucoup entraîné Antoine à faire la part des choses entre la réalité et le moment où son imagination lui jouait des tours. J’ai utilisé pour cela des schémas, des objets transférentiels, des figurines… Toute sorte de supports dont l’objectif est de créer une matérialisation éphémère du cycle de la pensée, à laquelle il peut se référer lorsque les angoisses ressurgissent. La représentation du cycle de la pensée crée une matérialisation plus facile à combattre car moins abstraite.

Nous avons aussi beaucoup travaillé en Relaxation Profonde Active : Apprendre à se détendre, à observer les réactions de son corps, avec les lieux de sécurité et d’insécurité, apprendre à déployer les sources de sécurité. Cette cartographie corporelle permet aussi de rendre les pensées négatives plus palpables et favorise le ré-ancrage dans la réalité.

L’accompagnement de la personne nécessite aussi une intégration des proches. Il n’est pas facile de répondre à la question du « pourquoi est-il sujet à ces troubles », en revanche il est possible de travailler sur le « comment réagir ou répondre ».

La première fois que j’ai vu Antoine, au moment de lui dire bonjour, je lui ai tendu la main droite. Et sa maman m’a tout de suite dit « non Antoine ne donne pas la main droite, il donne la gauche ». En fait en voulant éviter un malaise à son fils, cette maman bienveillante et attentive, prenait le risque de renforcer ses peurs : Dans l’esprit de l’enfant « si maman dit cela c’est qu’il y a vraiment une raison d’avoir peur qu’il m’arrive quelque chose si je donne la main droite ». La position maternelle est compréhensive, mais contenu de l’intensité des angoisses de son fils, il était préférable de dire « Antoine ne souhaite pas donner sa main droite, même s’il n’y a aucune raison d’avoir cette crainte ». Il y a dans cette formulation une prise en compte de la peur réelle de l’enfant, mais aussi un message sur l’absence de danger réel. Cette différenciation entre réalité de la peur, et non-réalité du danger est primordiale dans le processus de guérison, et aussi dans la construction de l’alliance thérapeutique : Il est important de ne pas prendre à la légère la réalité de la peur, quand bien même sa cause est infondée.

Intégrer les proches, c’est aussi les accompagner pour qu’ils prennent du recul, et que leur relation à celui qui souffre ne soit pas exclusivement basée sur ses troubles, afin d’accompagner sans pour autant accentuer.

La personne dans sa lutte contre ses TOC, doit avant tout lutter contre les peurs qui en sont à l’origine. Il est important qu’elle prenne conscience que même s’il lui arrivait quelque chose, elle possède des moyens de réagir, l’interroger sur ce qu’il pourrait faire s’il y avait effectivement un danger, lui permet de réaliser qu’il a des ressources. Ce « comment je peux réagir si » renforce la conscience de son état de sujet pouvant agir. Reconnecter à qui l’on est, ce que l’on sait faire, c’est-à-dire à notre réalité de sujet pensant mais surtout agissant, permet de remettre les choses à leur place. Dans l’accompagnement de personnes atteintes de ces troubles, il est nécessaire de les aider à se connecter à leur réalité, à leur puissance agissante pour leur bien-être et leur sérénité.

Enfin, le dernier volet de la prise en charge de ces personnes est une re-création progressive d’une nouvelle façon d’être à la vie. La nature ayant horreur du vide, si l’on retire les TOC, sans rien proposer à la place, ceux-ci risquent de revenir. Il y a inconsciemment une addiction à la peur qui a pu se mettre en place. « Si je n’ai plus peur, de quoi se construit ma vie ? comment est-ce que je vais être accueilli dans le monde si je ne me présente plus dans ma fragilité, qu’ai-je d’autre en moi que cette fragilité pour que l’on s’occupe de moi ? ». La déconstruction de la peur, et l’abandon des TOC passe alors par une revalorisation identitaire à travers les relations amicales, hobbies, qualités, centre de créativité de la personne.

A l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai plus eu de rendez-vous avec Antoine depuis six mois. Il a pu créer de nouveaux liens amicaux, et ses résultats scolaires sont remontés. Il continue aussi à dessiner avec talent. Il continue aussi d’utiliser les techniques de relaxation et d’ancrage que je lui ai apprises.

Dans l’accompagnement de l’enfant sujet à une phobie envahissante, les processus mis en jeu étaient identiques : angoisse très forte, et hors de raison, liée à des propriétés inquiétantes, attribuées à des animaux, avec un processus d’emballement de la pensée qui est relayé par le corps et des réactions émotionnelles très fortes.

La structure de l’accompagnement est le même : recherche de sens, désamorçage de l’emballement de la pensée, apprentissage d’outils de gestion du stress, adaptation de la réponse de l’environnement familial, et réapprentissage de l’ancrage corporel comme meilleur outil de lutte contre l’emballement de la pensée.

L’accompagnement a été mené sur trois mois, preuve si c’était nécessaire de le préciser qu’une situation n’est jamais totalement bloquée, même si elle est mystérieuse.Preuve aussi que les changements peuvent survenir très rapidement.

J’aimerai passer ces deux messages :

Il y a, à tout âge, des moyens de se débarrasser de Troubles Obsessionnels Compulsifs et de comportement phobiques aussi envahissants soient-ils.

Il ne faut pas non plus hésiter à faire appel à des thérapeutes différents si après un certain investissement, une situation n’évolue pas.

*Les prénoms ont été modifiés.
**Illustration par Antoine

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